WALTON Jo – Pierre-de-vie
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Titre : Pierre-de-vie
Autrice : Jo Walton
Plaisir de lecture : Livre avec entrée au Panthéon
Lire les premières pages
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Applekirk est un village rural à l’Est où il fait bon vivre. Le temps est marqué par le calendrier agricole : semis, levées et récoltes. Applekirk est défini par un manoir et son seigneur, le travail des moissons, la douceur de vivre et les mœurs libres.
Ce temps paisible est troublé par l’arrivée de deux voyageurs munis d’une grande curiosité : un érudit de l’Ouest et l’ancienne maîtresse des lieux. Leur arrivée est signe de chamboulement dans la vie tranquille des villageois.
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Pour le fonctionnement de cet univers, il y a deux éléments à prendre en compte :
· la yeya qui est le nom de la magie. Alors point de batailles épiques ailées ou de sorts lancés à bout de bâton, c’est une magie plus douce, celle qui permet surtout une protection : protection des mains pour récupérer un plat brûlant en sortie de four, protection des portes qui avertissent de l’arrivée d’un intrus, protection des enfants à un sommeil réparateur, celle insufflée dans les gris-gris positionnés aux fenêtres pour couper le vent et ses annonces négatives.
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· Ensuite, il y a le temps et son flux. Il ne s’écoule pas de la même manière selon les quantités de yeya disponibles. Ainsi, à l’Est, la magie est forte et le temps s’écoule doucement alors qu’à l’Ouest, il y a peu de magie, des dieux existent et le temps coule plus vite.
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Le début de roman demande un petit temps d’adaptation pour appréhender ces temporalités. Le décalage temporel est une composante novatrice dans la construction du roman et surtout dans l’historique d’Applekirk.
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Lentement, Taveth inspire à fond pour reprendre possession de son corps, puis elle s’approche de la fenêtre et de la yeyana suspendue devant la vitre. Elle est composée d’une pierre bleu et noir autour de laquelle est entortillé un fil d’argent, d’un bouquet d’herbes attachées avec un ruban rose terne, d’une tresse de cheveux, d’une pierre couleur de fumée couverte de signes yeyans, d’une bille de verre bleue sur laquelle est gravé un œil, et d’une toute petite figurine en argent représentant une licorne aux yeux de cristal scintillant. En dessous, sur le rebord, des pierres de tailles et de couleurs différentes ont été disposées avec soin les unes contre les autres.
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Pierre-de-vie est une fantasy par petites touches, une fantasy personnelle et même intimiste. Il y a ce quotidien d’une extrême importance émaillée par différents mouvements et actions : le cycle agricole avec les besognes et les festivités ; l’amour aussi, comprenant les sentiments, les attachements, les relations couples-amants, la famille et les enfants.
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Est souvent utilisée l’expression « domestic fantasy » pour qualifier cette histoire, j’estime que c’est justement par synonyme de « familial ». Oui, l’aspect ménager est assez fort : les descriptions sont nombreuses quant à la préparation des repas, la mise de la table, l’entretien du linge mais c’est logique puisque la tenue du foyer est la pierre de vie de la protagoniste Taveth.
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Concernant les différents personnages, c’est surtout les femmes qui captent l’attention car elles sont fortes et déterminées. Elles sont avant tout elles-mêmes avant d’être un titre ou une fonction « épouse de », « mère de ». La pierre de vie d’une personne est la constance qu’elle maintient en direction de sa destinée.
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Chaque personnage apporte du poids à l’essence de cette famille.
Le schéma familial est singulier, c’est une véritable ode au polyamour qui infuse à travers les pages. Il y est question aussi d’asexualité, d’homosexualité et de bisexualité mais à moindres mesures. Le roman Pierre-de-vie prend ses racines dans l’importance des liens qui unissent les membres de la famille.
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Avec un rythme sans empressement et beaucoup de douceur, Jo Walton nous soumet un éloge à la lenteur. C’est totalement immersif ! C’est finalement une fresque familiale : on entre dans la vie de la maisonnée, on apprécie la structure familiale, dans une société qui nous apparaît comme réelle et fonctionnelle. Jo Walton n’avait plus besoin de le prouver, elle montre encore qu’elle est une véritable autrice caméléon avec ce titre.
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Si vous avez aimé Morwenna et Mes vrais enfants écrits par Jo Walton, alors vous pourriez apprécier Pierre-de-vie.
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Quand Taveth chante une berceuse à ses bébés, elle se sent mère, comme toutes les mères attachées à leurs enfants par les liens puissants du sang et du lait. Quand elle chante une berceuse aux bébés de Chayra, elle se sent comme tous ceux et toutes celles qui ont chanté des berceuses à des bébés qu’ils n’ont pas portés : les grands-parents, les tantes, les concubins et concubines, les nourrices, ils sont innombrables. Il y a autant d’hommes que de femmes qui chantent avec elle dans cette pièce, mais elle ne voit ni Ferrand ni Ranal, qui sont tous les deux de gros dormeurs. Pendant la journée, Ranal adore les bébés ; il emmène souvent Tydsey quand il s’occupe des travaux de la ferme.
Elle déroule sa chanson comme le fil d’un écheveau que Tydsey suit jusqu’au sommeil. Ses yeux se referment d’un coup. Taveth fredonne encore un peu ; c’est certainement l’une des yeyas les plus puissantes qu’elle connaisse, chanter une berceuse à un enfant qui hurle et, par cette simple action, le confier à un sommeil réparateur. Les cils de Tydsey sont toujours humides sur sa peau, mais il s’agit bien d’un bébé qui dort, désormais. Taveth termine sa chanson au cas où, puis s’éloigne à pas de loup parmi toutes ces présences venues du passé et du futur.
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Le bibliocosme (Boudicca), Le dragon galactique (Tigger Lilly), Nevertwhere, Un papillon dans la Lune ont senti l’odeur du linge propre sécher à côté des herbes aromatiques.
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