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Titre : Premier souffle (Les Énigmes de l’aube, tome 1)
Auteur : Thomas C. Durand
Plaisir de lecture : Livre fantas… tique
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Anyelle vient de découvrir son don. Pour appréhender la puissance de ce dernier et le maîtriser, elle va devoir intégrer une école de magie. Sauf qu’elle est une fille et que les filles n’apprennent pas la magie. Qu’à cela ne tienne ! Elle ira quand même trainer ses guêtres dans les couloirs de l’établissement, respirer le courant d’air bienvenu dans la classe de Ludinant, serrer les dents sous les réflexions de Ferigas et détourner son regard mitigé des matches de Métaball.
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Ma plongée fut immédiate dans cet univers. J’ai voyagé, j’ai rêvé et j’ai habité ailleurs, le temps de quelques pages et quelques heures. C’est exactement une lecture qu’il me fallait pour démarrer cette nouvelle année.
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Dans les Troyaumes, les riches et puissants dominent. La ville suinte de superficialité. Les filles doivent se battre pour leur place. En filigrane, le féminisme est présent et par touches, le rapport à la nature via père & fille. Ce sont des inégalités éclairées : riches/pauvres, hommes/femmes, dans la politique et dans le système éducatif. Ceci est un condensé pour vous indiquer vitement que l’histoire se base sur certaines dérives de notre société mais ce n’est pas son cheval de bataille.
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D’après Efungrile le Judicieux, la matière du vide existe. La matière du néant aussi. Sa démonstration tient en une phrase, malheureusement sérieuse : « Si tant d’études parlent du vide et du néant depuis si longtemps, c’est qu’il y a matière à parler. »
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Dans les Troyaumes, il y a la magie. Les humains possèdent un don naturel, qui n’a pas besoin d’être appris mais qui demande parfois de bien le connaître pour mieux le maîtriser. Il existe aussi des établissements prestigieux pour apprendre les magies. Des écoles misogynes, où les filles n’ont pas accès (sauf si leurs riches familles peuvent remplir un peu les bourses desdites écoles)..
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J’ai aimé cette magie : elle est vague, parfois ridicule et on se demande même si elle existe vraiment. Pour certains aspects, les explications des professeurs tombent à côté de la plaque, si ce n’est un manque total d’explications tout court (je précise : c’est voulu par l’auteur pour son histoire, ce n’est pas un défaut d’écriture). Exemple : pourquoi doit-on surveiller son ombre à l’aube ?!
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J’ai aimé le vocabulaire déployé : enseignant-charmeur, animens, algorunes, spirituants, magiarque, génésthique… Et tout ce qui tourne autour de l’harmancie soit la magie harmonique que pratique l’arrège, le nom de l’orchestre magique composé d’un arregeant et d’arranciens.
A l’école de magie, il existe aussi plusieurs matières : la magie organique (science des potions), la télépathie, l’histoire de la magie, la magie de l’esprit, la magie de l’illusion, la practomancie entre autres.
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Et l’histoire alors ?
Et bien on suit Anyelle qui découvre son pouvoir mais qui demande à ce qu’il soit davantage maitrisé. Et pour cela, elle devrait rejoindre une école. Une école réservée aux garçons (Ah, si Mémé Ciredutemps le savait,
elle rouspèterait sévère). Mais qu’à cela ne tienne, elle arrive finalement à intégrer l’Ecole des Magies Utiles et Laborieuses. Sauf que c’est le début de la vie dure : elle a le questionnement facile, ce qui embête ses professeurs. Elle est dégourdie, curieuse et n’accepte pas de ne pas comprendre.
J’ai bien accroché à l’héroïne car elle est de nature volontaire, possède un caractère dit entier et déteste l’injustice. Elle n’en reste pas moins humaine, et loin de la protagoniste parfaite.
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Les Cornebuses de Hasturget entrèrent sur le terrain sous un tonnerre d’applaudissements alors que les arbitres prenaient place, tous habillés de rouge, et la mine austère. Ils étaient vingt-quatre. Il fallait, en effet, outre l’arbitre du balluchon capable de se miniaturiser afin d’entrer dans la sphère de cristal qui déterminerait l’issue du match, des arbitres de terrier, six arbitres chargés du bouclier magique empêchant toute aide extérieure et toute action parasite, un arbitre central et quatorze arbitres de sécurité et de rapatriement. Il y avait donc plus d’arbitres que de joueurs, ce qui est le signe d’un jeu où la tricherie est un art de haut vol et une manière de gagner tout à fait valable.
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« Premier souffle » est le premier tome de la série Les Énigmes de l’aube de Thomas C. Durand. Première parution en 2012 aux éditions Midgard, il me faudra attendre celle chez ActuSF fin août 2020 pour apprendre son existence.
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Placé en light fantasy, le roman est
un concentré d’idées étonnantes et surtout pétillantes. Bien que je ne le qualifierais pas « d’hilarant », les situations cocasses s’enchainent, les noms saugrenus font sourire tout comme les jeux de mots, calembours et autres répliques piquantes sans qu’ils ne prennent le pas sur l’intrigue. J’ai adoré les bas de pages ; et le tout est sous influence
pratchettienne bienvenue (il me semble que l’auteur la revendique). Il y a quelques comparaisons – menues et amusantes – avec le monde d’Harry Potter sur certains éléments comme le Métaball qui fait penser au Quidditch ou les traits de certains professeurs. Cette histoire absurde est une vraie bonne lecture.
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L’écriture est fluide, la lecture coule toute seule. Le rythme des digressions vient adoucir l’enchainement des scènes. Thomas C. Durand nous présente son univers et tient à ce qu’on s’immerge pleinement pour appréhender le fonctionnement de ce dernier, pour découvrir les magies et les personnages loufoques. La conclusion amène indubitablement à bientôt feuilleter le deuxième tome.
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Encore que la Nature n’ait pas dit son dernier mot. Il est en effet connu que la Nature finit par avoir raison de tout et de tout le monde. Elle a pour ce faire un allié précieux et une grande qualité : respectivement, le temps et la patience.
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Si de nombreuses bibliothèques possèdent un ou deux exemplaires de l’intégralité des Mémoires de Fauchugne le Brodeur, qui exerça comme podologue sous le règne de Baratonce IV, c’est parce que la plupart des bibliothécaires savent qu’en temps de crise, on sacrifier les livres aux besoins vitaux, aux obsessions fanatiques et aux caprices politiques. Au cours des siècles, la présence de ces Mémoires dans un emplacement stratégique d’une bibliothèque a bien souvent permis de sauver des livres de valeur, car les pilleurs perdaient un temps considérables à se débarrasser de la prose abondante de Fauchugne. Quatre siècles après sa mort, Fauchugne est très certainement l’un des grands artisans de la sauvegarde de la littérature dans les Troyaumes… C’est du moins ainsi qu’il est considéré par ceux qui ont la prudence de ne pas essayer de le lire.
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« Quand le soleil commence à pointer derrière l’horizon, et jusqu’à ce qu’il en soit complètement dégagé, le magicien ne doit jamais quitter des yeux son ombre portée par le soleil.
— En effet, acquiesça Fauvier. Bon, naturellement, dans notre école, personne ne se balade sur les toits tôt le matin, et nos salles de cours sont à l’abri de la lumière rasante de l’aube. La précaution vaut surtout si certains d’entre vous vont un jour étudier à Ithtir. Là-bas, rien ou presque ne fait obstacle à la lumière. Enfin, bref. Maintenant, je vais vous parler de ce qu’il s’est passé quand Frontis le Bègue a voulu transmettre un message télépathique à…
— Pardon, monsieur. »
Fauvrier plissa ses eux de jeune myope vers la petite fille du groupe.
« Oui, Anyelle ?
— Pourquoi il faut regarder son ombre à l’aube ?
— Parce que c’est comme ça. Ce n’est pas l’objet du cours. Frontis le Bègue, comme je vous le disais…
— Nan, sérieusement, s’il vous plaît, monsieur, j’aimerais bien savoir.
— Mais enfin ! »
Fauvier, irrité, tapa de la main sur sa cuisse. La petite nouvelle avait le questionnement facile. Et pourquoi ceci, et pourquoi cela ? C’était une excellente chose, et le professeur le lui avait dit. Mais seulement quand il connaissait les réponses, évidemment !
« Si on vous dit de le faire, ma petite demoiselle soyez sûre qu’il y a une bonne raison.
— Laquelle ?
— Ne vous y mettre pas, monsieur Dachéron ! » fit Fauvier en dressant un index.
S’ils étaient deux à le questionner, bientôt il ne pourrait plus gérer la situation. Il devait trouver un semblant de réponse. Vite.
« Il s’agit d’un exercice de rigueur. Un symbole de l’application qu’un magicien doit mettre en chaque chose. Peut-être chacun d’entre eux sait-il très exactement pourquoi il fait ça. »
Très bonne idée ça, se félicita Fauvier.
« Oui. Une raison qui lui est propre et qu’il apprend tout seul au fil du temps. Quand le savoir et le pouvoir sont là, qu’ils s’accumulent, alors ne pas quitter son ombre des yeux à l’aube revêt une importance capitale. Et ça, vous le saurez en temps voulu. Pour l’instant, vous allez vous contenter de faire ce qu’on vous dit de faire. »
Bien envoyé, ça, jubila Fauvier.
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