HAUCHECORNE Anthelme – Moitiés d’âme
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Titre : Moitiés d’âmes (Chroniques des Cinq Trônes)
Auteur : Anthelme Hauchecorne
Plaisir de lecture : Livre à découvrir
Écouter le chapitre 0,5
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Rollon et Liutgarde sont réfugiés dans la Sylverëe, l’antique forêt et l’ultime refuge des Faëes. Ils ont rejoint un groupe de caravaniers constitué en partie de mäges. Mais cette vie en cavale n’est qu’une fuite en avant. Et ils vont bien devoir se confronter à leurs problèmes.
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Postulat de départ : la mägerie ne peut être pratiquée qu’à deux. Parfois, les couples sont mal assortis, parfois les mariages sont forcés. Les personnages sont hauts en couleurs et intelligents. Il y a Liutgarde – héroïne attachante –, Rollon, Dame Hölle, les caravaniers et d’autres que je vous laisse découvrir. J’ai aimé et détesté ces personnages, preuve d’un réalisme adéquat concernant les personnalités, pleines de travers et de qualités.
Il existe aussi le Mägistère, une sorte d’Inquisition qui torture et extermine les gêneurs.
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Les Humains ont soif de pouvoir, ils cherchent à percer les mystères des Faëes disparues et notamment leur art de la mägerie. Anthelme Hauchecorne prend à cœur de tisser des liens entre les personnages, des liens entre les vécus et de plonger profondément les racines de son récit.
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Le camp était tout proche. On distinguait la roulotte-bibliothèque, avec son toit en quille de bateau. La roulotte-forge dominait les autres. Son bas-fourneau crachait un panache de fumée. La roulotte-sorcière s’entendait plus qu’elle ne se voyait. Ses charmes d’ossements tintaient au gré du vent.
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L’univers est riche. J’ai aimé le vocabulaire inventé, le fuseau pour parler d’une baguette, la forêt nommée Sylverëe, les moitiés d’âme sont les Hälflüngen. Ainsi que la version féminine des rôles : Faëe, Mägeresse.
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L’auteur construit son récit autour des Quatre Saisons. La magie est influencée par les saisons et les arcänes : ces deux axes déterminent le type de sort que chaque mäge peut lancer (couple de mäges !). Avec Moitiés d’âme, on entre dans une atmosphère sombre et hivernale. Le milieu enneigé est sublime et apporte quelques frissons.
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Cet univers finement travaillé propulse une intrigue prenante. Moitiés d’âme est un tome où l’histoire s’enracine et bien loin d’un volume d’introduction. La quête est hors du commun et bouillonnent de petites idées bien trouvées. Tout élément est utile, rien n’est « pour faire joli ». La mécanique est huilée pour servir une fantasy intelligente.
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La mägerie comptait peu de règles. La plupart pouvait être détournées, voire tordues. Il n’existait guère qu’un principe parfaitement incontournable. Pour tisser un enchantement, des mäges devaient être deux. C’était ainsi. Personne ne savait pourquoi.
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Concernant l’écriture, j’ai été un peu surprise : j’avais du mal à retrouver le style ciselé d’Anthelme Hauchecorne que j’avais su apprécier avec Âmes de verre, Le Carnaval aux Corbeaux ou encore Journal d’un marchand de rêves. Travail éditorial ou l’envie de tester quelque évolution, il m’aura fallu quelques pages avant de m’immerger et retrouver l’écriture artistique que j’apprécie tant. L’écriture est plus concise et toujours percutante.
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L’histoire est beaucoup moins manichéenne qu’il n’y parait. Certains aspects contradictoires mais pas antinomiques apparaissent. La plongée dans cet univers sombre est teintée de défaitisme et de nostalgie. L’auteur s’investit sur les relations amoureuses, parfois dysfonctionnelles, parfois toxiques, complémentaires ou dépendantes. Les thématiques dansent tour à tour : trahison, engagement, confiance brisée, non-dits et secrets. L’auteur a une réflexion caustique sur l’humanité.
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Les secrets ne demandent qu’à être révélés, d’autres rebondissements s’activent alors qu’on se pensait arriver à la fin de l’action. Les situations cocasses s’enchaînent, parsemés de dialogues enlevés. Moitiés d’âme se dévore littéralement et j’ai aimé la complexité qui anime le cerveau. L’auteur prend un malin plaisir à nous perdre (autant que ses personnages).
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La mägerie obéissait à certaines limites. Rollon les avait outrepassées. L’Hiver était une saison puissante mais vorace. Elle l’avait vidé. Ses extrémités restaient gelées. Son sang circulait à peine. Son cœur cognait lentement. Il menaçait de lâcher, à chaque instant.
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Moitiés d’âme est le premier tome d’une tétralogie et j’ai déjà hâte de retrouver cette écriture de haute voltige. La conclusion est magnifique et ne nous laisse pas sur notre faim, elle nourrit notre intérêt pour la suite. Les amours contrariés de Litugarde et Rollon, la puissance Faëe, les combats médiévaux sont autant d’éléments intrigants.
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Le livre tape dans l’œil, c’est un bel objet, un écrin qui invite à la lecture. La couverture est réaliste, on reconnait très vite les roulottes. Elle revêt quelques zones en fer à dorer, cuivrées comme le signet et aussi un toucher « peau de pêche » (soft touch). C’est de l’édition grand luxe : les illustrations sont partout, dessus, dessous, sur les côtés et dedans. Un trône est dessiné sur la tranche des pages, des en-têtes de chapitres sont ornés de trônes, une police pleine de ligatures est utilisée.
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La lecture est conseillée à partir de 15 ans ; et un potentiel lecteur plus jeune si vous pensez à un rat de bibliothèque qui déjà dévore.
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Diane et Muse filèrent, à la mode des Baronnies. Les mäges du Printemps, comme Pirine et Rénard, tressaient leurs enchantements à mains nues. Les Automnaux, eux, les travaillaient aux fuseaux. La Troisième Saison requérait vitesse et précision. Les créatures de la défunte Cour d’Automne possédaient, disait-on, des mains extrêmement menues. Les historiens parlaient même de doigts de Faëes.
En comparaison, la main humaine manquait de finesse. Elle ne convenait pas aux travaux du Troisième Art. Aussi les Automnaux façonnaient-ils des fuseaux. Chaque pièce était unique. Ces outils, elles les manipulaient avec élégance. Diane avait taillé le sien dans le fémur d’un sanglier. Muse, dans le cœur d’un sorbier. Ces instruments, les gens du peuple les surnommaient parfois baguettes, de façon erronée. Preuve qu’ils n’y connaissaient rien.
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