Anonyme – Le Livre du Chevalier Zifar
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Titre : Le Livre du Chevalier Zifar
Auteur : Anonyme
Plaisir de lecture : Un livre à découvrir
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Zifar, chevalier de son état est l’objet d’une terrible malédiction : quoiqu’il fasse, son cheval meure tous les dix jours. Son roi ne voit que les dépenses pécuniaires magistrales à lui fournir tant de montures. Maintenant sans le sou, le Chevalier Zifar décide de partir pour d’autres terres, avec toute sa famille. Bien sûr, lors de leur périple, ils vont vivre mille aventures (ou pas loin). Ils vont commencer par perdre leurs enfants, Garfin fera l’objet d’un enlèvement par une lionne qui veut en faire son goûter, Roboam aura la délicatesse de se perdre dans les rues de la première ville visitée. Par-dessus le marché, Grima sera enlevée par des pirates des mers. Mais coûte que coûte, grâce à sa bravoure et à sa foi, le Chevalier Zifar est prêt à relever tout défi et à aller au bout du monde.
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)°º•. Les aventures du Chevalier Zifar, ce n’est quand même pas de la gnognotte, tu vois.
Il perd ses fils et sa femme, mais il a la foi : il est prêt à tout. Surtout à aider les gens, et punir les méchants. Bien que l’histoire soit prévisible et que les aventures se finissent toujours bien, quand nous ouvrons la première page de ce roman, nous avons l’impression de découvrir un trésor inestimable et lu par de rares privilégiés.
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Ce livre repose sur un modèle de conduite à double objectif : l’honneur et le profit pour le corps et le salut des âmes. Ce procédé est habituel au cours du XIVe siècle : l’enseignement se focalise sur le binôme « corps et âme ». Cela se justifie également par une caractérisation morale du Chevalier Zifar : comportement, observation, action et réflexion. Une quelconque description physique de Zifar est totalement absente du livre. L’important est de suivre sa progression spirituelle au fil des pages.
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Les situations narratives amènent notre héros de tous les temps (du moins du XIVe siècle) à de tristes événements. Cependant, toute décision consciencieuse, juste et raisonnable se voit gratifiée de l’aide de Dieu. Assurément, c’est davantage pour appuyer cet aspect que « Chevalier de Dieu » se révèle être un nom propre.
Le livre repose sur la proposition d’une grande leçon morale pour la conduite à tenir par son lecteur. Les expériences du Chevalier Zifar sont de nature : chevaleresques, morales, philosophiques, sociales et politiques. De quoi assurer l’éducation du bouquineur !
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La perspective la plus captivante pour moi est l’amplification que notre auteur utilise tout au long de son récit. Il pratique l‘entrelacement : l’histoire principale est truffée de petites histoires individuelles et de contes. C’est le système tant connu des poupées russes. L’auteur utilisera cette stratégie littéraire afin de mettre en avant ses connaissances ; son discours est illustré par de nombreux exemples.
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)°º•. Au vu des recherches réalisées sur l’ouvrage, ce dernier aurait été écrit à Tolède. Cette ville multiculturelle et plurilingue a joué un rôle pour la prose didactique et le modèle de « roman castillan ». A l’époque, s’y trouvaient d’importantes oligarchie mozarabe et communauté juive. C’est pourquoi le récit propose un mariage équilibré entre orient et occident.
Bien que la date d’écriture et l’identité de l’auteur restent un mystère, nous y trouvons des clins d’œil à des édits religieux et à d’autres contes. S’y sont également glissés des éléments fantastiques.
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Le roman repose sur le patron religieux suivant avec : les quatre vertus cardinales, les sept pêchés capitaux et les trois théologales. Avec respectivement, la prudence, la tempérance, la force et la justice ; puis l’acédie ou paresse, l’orgueil, la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère et l’envie ; et enfin, la foi, l’espérance et la charité.
Il n’en demeure pas moins que le Livre du Chevalier Zifar est d’un nouveau genre parmi les romans moyenâgeux puisque l’auteur donne une valeur exceptionnelle à l’intelligence.
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Le livre a fait l’objet de nombreux travaux : publié pour la première en 1512 par Comberger, les premières traductions françaises ont été effectuées au cours du XIXe siècle. Par la suite, il a été au cœur de multiples thèses et a même donné naissance à un livre pour enfant en 1962 et à une courte bande dessinée de quelques planches relatant l’histoire avec les navets.
La préface et les annexes prouvent par ailleurs, que la réécriture du livre n’est pas un blasphème mais doit, au contraire, être respecté. L’auteur du Livre du Chevalier Zifar souhaitait que les personnes capables de l’améliorer afin qu’il soit compréhensible de tous, y satisfassent.
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)°º•. Le prologue nous met directement dans le bain : il commence sur un fait historique et continue sur un commencement « artificiel » (créé de toutes pièces, modèle du roman à la castillane). La première partie nous emmène sur les aventures du Chevalier Zifar, la deuxième partie est un discours moraliste ininterrompu d’un père à ses fils (le plus difficile à lire d’une traite), enfin la troisième partie nous propose de suivre les aventures d’un des fils.
Les annexes se découpent en trois : les notes sont empreintes de renseignements et expliquent le choix qui s’est effectué entre les différentes propositions de traduction d’un mot, d’une phrase ou d’une expression (certaines propositions se situant l’une à l’opposé de l’autre) ; la table des matières récapitule le nom des différentes parties et chapitres, et un résumé en une phrase ; enfin le contexte du livre est les coulisses de cette histoire. Le discours est un peu difficile à suivre avec les nombreuses références bibliographiques mais se révèle une petite perle à lui seul.
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Ce livre, en plus d’être une histoire, est un véritable objet.
La couverture marron et les illustrations dorées lui donnent un côté « relique » très tentant. Tout est « finesse » : que ce soit le rendu final, comme les choix du papier, de la police ou même la présence des signets. L’odeur du livre y contribue : il ne sent pas particulièrement le neuf, ni même la même senteur que les autres livres, mais cela plait.
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Enfin, nous noterons que les illustrations de Zeina Abirached sont superbes, et que nous apprécierons les petits détails que seuls les LCA (Lecteurs Compulsifs Anonymes) verront : La puce située en marge qui signalera les emprunts au manuscrit de Madrid et la numérotation des lignes.
Un joli produit qui vous fait dire « waaaah ».
Enfin, l’offre de ce Livre du Chevalier Zifar était un grand enjeu et je n’ose imaginer les investissements pour proposer un tel ouvrage ! La traduction est réalisée par des mains de maitres. Un véritable trésor !
Bref, pari tenu. Voilà un livre qui a été très attendu, qui fait pour l’instant, l’unanimité des avis et – je l’espère – qui sera découvert par un nombre toujours plus important de lecteurs.
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Ce livre propose une de ces histoires dont nous avons l’impression d’en être un rare lecteur. nous est proposé aujourd’hui par les éditions Monsieur Toussaint l’Ouverture. Au programme, nous avons beaucoup d’aventures, un brin d’ironie et des anecdotes humoristiques. Tour à tour penseur, aventurier et conteur, ce récit datant du XIVe siècle nous propose une belle leçon de savoir-vivre. Atout original pour un livre moyenâgeux, l’auteur inconnu met en avant la valeur de l’intelligence. Il repose sur un savant mélange de morales, de bienséance et d’expériences chevaleresques hors du commun. Un trésor à découvrir au plus vite pour les aficionados du genre.
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Le Grenier à Livres de Choco, Les lectures de Folfaerie et En lisant en voyageant de Keisha ont bourlingué aussi sur un cheval.
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