DUFOUR Catherine – Le goût de l’immortalité
.
Titre : Le goût de l’immortalité
Auteur : Catherine Dufour
Plaisir de lecture : Livre avec entrée au Panthéon
.
2213, elle raconte son enfance à Har Rebin, entourée de trois piliers, trois femmes différentes : sa génitrice, prostituée en mal d’être, Iasmitine, la voisine sorcière-vaudou-allergologue-naturiste-et-autres, une femme redoutable et Ainademar à la voix râpée et au tendre amour pour le Pollen. Puis elle raconte son béguin pour Cmatic, jeune entomologiste installé dans la tour, venu enquêter sur une maladie qui semblait éradiquée. Un mot après l’autre, nous entrons dans ce monde où la vie et ses essences prennent des dimensions particulières, on suit les péripéties des uns et des autres qui gravitent dans l’environnement à elle. La vie, c’est comme une drogue. La vie, mais à quel prix ?
.
.
)°º•. En 2304, une femme revient sur sa vie dans ses écrits. Ce roman est une lettre de correspondance, avec un ami, Marc. Ce récit a posteriori nous conte un monde où le ciel est jaune de pollution, où les insectes en Polynésie sont assassins, où l’enfer se trouve réellement en sous-sol. Sous une narration à la première personne du singulier, elle nous entraine toujours plus loin, dans un univers sombre où les objets ont perdu leur nom propre et possède une majuscule, ces objets du quotidien, qui n’existent plus maintenant, en Manchourie.
Notre troupe de personnages principaux et secondaire se révèle être tout haut en couleurs. Des âmes singulières qui ne laissent pas indifférent.
.
Elle, est une petite fille dont on ne connaît pas le nom, du temps ingrat, très en colère, mais une caboche bien remplie. Bien qu’elle ait un faible pour cmatic, elle n’en deviendra pas moins, une très bonne alliée.
» J’avais définitivement les épaules étroites, la courbe des cuisses droite, le ventre plus saillant que le torse, la tête plus grosse que le reste et des traits marqués du bout du doigt. Je me cachais dans le flot sombre de ma chevelure comme dans une source miraculeuse, un soleil noir de la maturation, j’en ressortais toujours aussi inachevée, tel un Alevin translucide. »
.
Ainademar, c’est un ensemble de prothèses. Ne suivant pas de traitement hormonal post-ménopause, elle a le dos voûté et est fière de son doigt tordu par l’arthrose. Cette femme soigneuse, elle porte difficilement ses quatre-vingts ans mais elle voue un amour sans borne à elle. Elle s’occupe d’une dizaine de serres entassées dans les couloirs de la tour. Son travail minutieux permet de conserver des Plantes, du Bambou et de l’Osier. Ainademar est polléinisatrice en voie d’extinction.
.
Iasmitine est une femme qui s’assume, tant par son physique asiatique, son port de tête magistral, ses cheveux noirs bouclés et sa peau mate tant que par ses activités. Quelque peu obscure, iasmitine travaille à éliminer bon nombre de maux. Et pour elle, toute technique est valable. A la fois à la pointe des technologies, et sorcière vaudou, iasmitine embaume la vie d’elle, d’une manière omniprésente.
.
Dans ce monde, il est possible de choisir non seulement le sexe de son enfant, mais également ses attributs génétiques. C’est pourquoi cmatic a reçu grâce à sa fiche génétique prénatale E123.5, un taux de mélanine plutôt bas avec des yeux clairs et une chevelure blonde. Sa peau est comme du velours et à sa naissance, il était protégé de vingt-cinq maladies auto-immunes. Cmatic, dans la vie, est paumé. C’est sans doute, un de ses traits principaux en plus de sa sensibilité. Il a été « choisi » (nous pouvons dire obligé) pour mener une enquête sur le cas d’une maladie censée être éradiquée en Polynésie. Ses indices et choix l’amène à investiguer dans la tour où elle habite, à Har Rabin.
.
Shi est plutôt charmant et relativement beau gosse. Malgré sa mâchoire carrée, il a de longs cheveux soyeux et a cette façon de baisser les yeux sur le côté de timidité quant on s’adresse à lui. Dans sa vie, shi connaitra moult revirements de situations, avec le principal défaut de s’attacher aux mauvaises personnes.
.
Cheng est une fille au bord de la majorité, affamée et insouciante. Elle traine généralement avec les mendiants, les vendeuses d’oxygène, les trafiquants de greffes frelatées, les dealers de psychotine, joue de la guitare et de la cithare. Entrainée par sa peur, elle court au refuge et sa vie va basculer.
.
Path est androgyne roux de deux mètres et un sociopathe bourré de génie. Ce qui le caractérise le mieux est sa sauvagerie démoniaque, ses tatouages écarlates et son succès sexuel auprès des deux sexes. Sans aucun doute, c’est l’être qui vous terrorisera et vous intriguera le plus, lors de votre lecture.
.
.
)°º•. Attention, c’est du Dufour, certes. Mais ce n’est pas comme sa précédente trilogie, ce n’est pas foison d’humour, d’ironie & autres calembours à vous en tordre le bide. Catherine Dufour a mis un an et demi à écrire « Le goût de l’immortalité », « tout à la main sur Papier d’Arbe au fond d’un bar enfumé en buvant de la bière ».
Il m’est très difficile de faire un résumé de ce livre, comme vous avez pu le voir. Mais le travail d’écriture est minutieux. Son talent singulier permet d’offrir aux lecteurs un roman sublime. Il est quelque peu dérangeant, sûrement. Mais l’écriture au scalpel est délectable. Je peux rattacher beaucoup d’adjectifs à cette histoire : ironique, doucereuse, acérée, incisive et corrosive. Les phrases assassines sont superbes et l’intrigue assez complexe (mais je ne vous dévoile rien des ressorts).
L’histoire se présente dans un futur pas si éloigné de ce qu’en sera la réalité à ce moment là. Au début, le livre m’a curieusement fait penser à « Le meilleur des mondes » où Aldous Huxley nous donne une vision pragmatique. Dans cet univers fantastique, les nouvelles technologies côtoient d’un côté, l’aspect bestiaire de certains bourreaux à machette et de l’autre côté, le mysticisme et la magie vaudou. Catherine Dufour fait naturellement du futur (dans le livre), un passé pour elle. L’effet est réel, l’univers est maintenant créé. Ce monde est cruel, grouillant, sordide, impitoyable, raciste, nauséabond et malsain. C’est la scène de théâtre, l’important. L’idée de confrontation d’atmosphères est admirablement gérée. S’y cachent des vérités criantes de notre propre société.
L’histoire est racontée à la première personne avec un narrateur presque omniscient. On se rend vite compte que les rapports humains sont à la déchéance. Ce tout amène à une mosaïque d’émotions, de moments et de personnages. Le tableau est relativement morbide avec des touches de bonheur si fugaces d’un ton étonnamment léger. Bref, « Le goût de l’immortalité » est tout simplement d’une grande beauté.
Totalement subjuguée, je l’ai lu d’une traite sur 48 heures. Et ça, ma parole, c’est preuve de chef d’œuvre.
.
.
)°º•. Catherine Dufour, née en 1966 est un écrivain français. Elle est notamment connue pour sa trilogie burlesque « Quand les dieux buvaient ». De nombreuses fois récompensée, elle compte maintenant parmi les auteurs à découvrir absolument. Et une citation de Cafard cosmique que je trouve superbe « écrivaine française de fantasy délirante et de science-fiction sérieuse ».
L’illustration magnifique du livre chez Mnémos est de Caza.
Bien qu’on dise souvent que la quantité ne fait pas la qualité, il faut bien dire qu’ici, c’est vrai avec les nombreuses récompenses : Prix Rosny Aîné 2006 (prix du roman de SF francophone), prix Bob Morane du meilleur roman francophone 2006, prix du Lundi 2006, et le grand prix de l’Imaginaire 2007.
Extrait du livre lu à voix haute par l’auteur elle-même.
.
.
)°º•. Extrait
.
.
—————————————————-~*
.
Souvenir lié à ma lecture : là, en vacances, à minuit passé, ramenée sur moi dans ce fauteuil blanc, là, dans l’après-midi, installée sur un siège en bois de korrigan. Là, pendant 48 heures, à dévorer.
La lecture de ce livre s’est réalisée dans le cadre du Cercle d’Atuan.
Retrouvez les critiques des membres : Arutha, Calenwen, Ryû.
.
D’autres avis disponibles chez : A la lettre (Karine), Avis de Vicklay, Les lectures d’Efelle, Quoi de neuf sur ma pile ? (Gromovar), Bibliotheca (Marc).
.
Pics : #1 Couverture de Caza ; #2 path selon Catherine Dufour ; #3 Basement de lit-it-di
.
Bon sang ce que j’ai aimé ce livre ! Merci pour le lien. Je vais mettre à jour mon post avec ta chronique 🙂
A chaque chronique, j'ajoute des chroniques d'autres bloggeurs que j'aime bien :)
Et je suis bien d'accord avec toi "bon sang"
Je n’ai pas grand chose à dire vu que je suis également séduit par ce bouquin, auquel j’avais accordé une note très forte !
Ah, oui ! 19,5/20 quand même !
Tes chroniques m »impressionnent toujours autant. Je n’aurais pas du tout été attirée par ce livre aux premiers abords mais maintenant, j’ai envi de le lire. La description que tu fais des personnages les rend intrigants et j’ai envi de mieux les connaitre.
Parfois, on rencontre un livre au mauvais moment. Mais quelques fois, on peut également ne pas accrocher à un livre que j'ai adoré ;)
Je viens de finir ce roman et j’ai adoré ! Belle chronique qui décrit très bien le roman. J’ai ressenti les choses pareil : phrases assassines, univers sordide, grouillant… J’ai été complètement ensorcelée. Elle a une plume magnifique
Ah je suis contente de découvrir une autre fan :) En plus le fait que tu le chroniques permettra sans doute à d'autres lecteurs de se dire "Ah mais oui, il me faisait envie celui-là".
Je suis ravie de découvrir ta chronique, car elle fait resurgir toute l’intensité que j’avais éprouvée lors de cette lecture ! Je me souviens que la maîtrise du style, et le petit côté « dickien » m’avaient impressionnée.
Très belle chronique en tout cas, car parler de ce livre n’est vraiment pas évident ^_^
C’est un bel exercice d’écrire une chronique sur certains livres parfois. Cette histoire est de la haute-voltige et c’était une tâche ardue que de réussir à mettre des mots sur ma lecture 😉 Merci !